titre : Richard Morgiève : qui se souviendra des hommes ?
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Richard Morgiève : qui se souviendra des hommes ?
Avec Les Hommes (Joëlle Losfeld Editions), Richard Morgiève a écrit un roman d’une mélancolie aussi violente que poignante.
1974. Cette année-là, le jeune Mietek Breslauer, 25 ans, ex-braqueur tout juste sorti de taule, roule à bord d’une DS 21 et traine une curieuse tristesse dans Paris, celle d’un petit Juif orphelin dont la mémoire est encombrée par des fragments de phrases en yiddish. Sur le radiocassette, pourtant, il écoute de préférence un enregistrement de Compartiment Tueurs, le polar de José Giovanni lu par Karine, son amie de cœur et de corps, prostituée du côté de la rue Saint-Denis. Où sont les femmes se demandait Patrick Juvet, à peu près dans ces années-là. Ce que se demande Richard Morgiève, dans son roman, c’est plutôt où sont les hommes et ce que cela signifie au juste, « être un homme ». Comprenez l’homme dans l’acception argotique et truandière du terme, c’est à dire en opposition au cave ou au condé, même si la question s’élargit assez vite.
Par un effet narratif assez envoutant, qui pourrait s’apparenter à des poupées russes temporelles, Morgiève restitue les années Giscard, -l’action se déroulant le temps d’un septennat- avec des personnages qui eux-mêmes regrettent les années De Gaulle, celles où les hommes, donc, avaient la tronche de Gabin et de Ventura. On est donc ici dans la nostalgie de la nostalgie, le regret du regret, le reflet d’un reflet…
Mietek, lui, quand il ne roule pas dans Paris, vit dans un appartement janséniste où il n’y a que des livres. Il écoute, observe, se souvient, médite: « La lecture avait été pour moi bien souvent une sorte de mort. Je lisais pour mourir, ne plus vivre dans ce monde qui m’accablait, m’en abstraire comme Robert venait de le faire. La mort était au fond la seule liberté que nous les pauvres hommes pouvions avoir –vivre n’était pas qu’impossible, c’était aussi une prière qui ne pouvait être exaucée. »
Pour le reste, il n’est plus question de braquages : trop dangereux. Et puis Mietek est beaucoup plus doué pour la mécanique et la conduite, ce qui fait de lui un voleur et un convoyeur émérite de voitures de luxe, y compris des Cadillac roses volées à Bruxelles pour des stars de la télé. Il commence, sur les conseils de son mentor, Robert-le-Mort qui agonise à l’hôpital, à cesser de s’habiller comme un voyou et à choisir des tenues de cadres supérieur, histoire d’égarer l’ennemi.
Mietek est un en-dehors, un marginal au sens propre : il aime les bistrots excentrés, les zones péri-urbaines avec des friches et des ferrailleurs, des casses et des relais routiers où le gras-double est comaque. Tout ça, bien sûr est promis à une destruction prochaine. Les années 80 seront un cauchemar. Mietek le sent. Mietek le sait. Mietek voudrait l’écrire parce qu’il a bien compris que le salut viendrait de ce côté-là : « Je me suis allongé sur le lit et la vérité est venue : il fallait que je trouve ma langue. Un écrivain avait sa langue, celui qui voulait écrire devait trouver la sienne. »
Parfois, l’histoire rattrape Mietek, comme à l’enterrement de Robert-le-Mort qui a fini par mériter son surnom, où les trois autres personnes présentes sont de la génération de Robert, un flic et deux truands, tous anciens résistants passés ensuite par le SAC pour continuer le combat commun contre les ennemis du Général. Ces gens-là, l’air de rien, vont aider Mietek qui devient brocanteur et expert en pillage presque légal d’appartements luxueux aux successions compliquées. Mais le blues ne quitte pas le jeune homme, un spleen qu’il traine des cariatides beaux quartiers aux néons des bars montants, des bagarres avec des macs sur les trottoirs aux zincs des bistrots frappés d’alignement dans des rues qui changent, hélas, plus vite que le cœur d’un mortel.
Mietek Breslauer est aussi rattrapé par son temps, ces années 70 où les utopies de la parenthèse enchantée ont aussi leur côté obscur. Son tempérament chevaleresque le fait ainsi intervenir pour protéger un soir deux filles malmenées par des demi-sels. Manque de chance, ce sont des lesbiennes qui vivent dans un squat et se piquent à l’héro au milieu d’élucubrations gauchistes avec des travelos et des enfants qui trainent un peu partout. Mietek tombe amoureux d’une des deux, Ming, mais celle qui tombe amoureuse de Mietek, c’est la petite fille de Ming, Cora. Une gamine qui recherche un père. Mietek l’orphelin craque, promet qu’il viendra la chercher, vite.
Dans ce roman mélodique et mélancolique, Morgiève nous parle du besoin d’amour et de
rédemption des hommes, même et surtout ceux qui surjouent le machisme. Mietek, perdu dans son époque, et qui n’aura pas forcément sa place dans celle qui arrive, saura-t-il être un père ? La réponse viendra, évidente et c’est avec la main d’une fillette dans la sienne, alors que la décennie bascule qu’il saura enfin quel homme il est : « Il faudrait que j’arrête les conneries, je le ferais. Elle méritait tout. Elle était là pour que je rende à quelqu’un tout ce que je n’avais pas eu. »
Jérôme Leroy
Les hommes de Richard Morgiève (Joëlle Losfeld Editions, 2017)
paru sur Causeur.fr
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