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Une question de précision
La sensualité, ou le désir, c'est d'abord une question de précision. Une précision presque hallucinée mais qui n' oublie pas d'être précision.
Nabokov, l'auteur des deux pages ci-dessus, extraites de Chambre Obscure (roman russe qui a aussi sa version américaine, Rire dans la nuit) a cette précision de chasseur de papillons, activité où se mêle toujours l'enchantement évident à une cruauté diffuse, comme si les deux étaient indissociables et peut-être, de fait, le sont-ils. Aussi éloigné a-t-il été de Freud qu'il méprisait, Nabokov n'en a pas moins, dans Chambre obscure comme dans presque tous ses livres, montrés à quels points la pulsion de mort était à l'oeuvre, même dans la lumière lustrale des matins profonds. C'est d'ailleurs le secret de sa jouissance déviante qui est aussi, bien entendu, celle de son lecteur.
Chambre obscure a une intrigue extrêmement classique, une trame presque banale. Une nymphette, Magda, soeur ainée plus dégourdie que Lolita qui n'arrivera que dans vingt ans, détruit méthodiquement un homme installé, lui retire tout, femme, enfant, réputation, avec un sadisme méthodique et joueur. Elle lui retirera même, indirectement, ce qu'il a de plus précieux car il est un critique d'art réputé: la vue.
Alors pourquoi ce roman qui brode sur le thème de la femme fatale vue petite brute inculte et invinciblement attirante, sexuelle, qui fait souffrir au-delà du raisonnable un homme raffiné n'est pas un simple remake d'un Amour de Swann ou même d'un roman noir de Goodis? Encore une fois, c'est à chercher dans und façon de voir qui n'appartient qu'à Nabokov (Chambre obscure renvoie aussi dans le roman à la photographie et à l'optique), une façon synesthésique où les sons ont des couleurs, des couleurs ont des goûts dont ces deux pages sont de parfaits exemples. Plus généralement, Nabokov estimait qu'un écrivain était d'abord quelqu'un qui pensait par images et non par concepts. Je crois me souvenir avoir lu que lorsqu'il était professeur itinérant de littérature dans les universités américaines, il avait demandé à ses étudiants lors d'un examen sur sur Madame Bovary, de décrire la chambre d'Emma. Autrement dit, le roman est un lieu, pour Nabokov, un lieu très concret, un espace-temps modulable à l'infini comme dans l'indépassable Ada ou l'ardeur. Celui des épaules luisantes de la jeune fille qui va vous détruire, qui vous a déjà détruit.
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