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Pour Otto Mueller

Novembre peut bien faire hurler son gris, nous sommes assez vieux pour savoir que le soleil, la santé, le bonheur, le calme existent ailleurs, existent encore, existent toujours. La peinture d'Otto Mueller que nous avons découverte à Hambourg, par un de ces étés indiens qui scintillent sur l'Elbe dans une émouvante clarté bleue, nous a envoyé un signe, encore un, de cette persistance de la beauté malgré la catastrophe. 

Mueller a vécu un temps mortifère et morbide, il a combattu, comme engagé volontaire malgré son âge, pendant la Grande Guerre et traversé l'Allemagne en crise. Il était renseigné sur le malheur. C'est pourquoi, parce qu'il est hors de question de se soumettre à l'horreur, de trouver des accommodements raisonnables avec le désespoir, il n'a eu de cesse de peintre des Arcadie paisibles peuplées de corps en harmonie protégés par les feuillages et l'eau vive. Il aurait pu se contenter de sa vie de notable des Beaux-Arts mais, à la fin, il a préféré vivre chez les tziganes, parce qu'on n'est jamais plus heureux que chez les invisibles, chez ceux qui savent vivre à côté. 

Contre la dépression organisée, le puritanisme préapocalyptique, la sagesse consiste à rejoindre ces corps nus, flexibles comme des branches, brunis au soleil. Allons nous baigner avec eux, allons les caresser dans l'innocence des commencements du monde. Ce n'est pas un hasard si Facebook, avec ses algorithmes  qui encadrent désormais  l'imaginaire de milliards d'êtres humains, ne supporte pas cette peinture-là.  Les Nazis non plus ne la supportaient pas, qui vidèrent les musées de ses tableaux en 1937, sept ans après sa mort. On dira que ce n'est pas comparable. On dira ce qu'on voudra, les faits sont têtus.

Et comme d'habitude, dans les deux cas,  la censure cache ses véritables mobiles: ce qui n'est pas supporté, par le Réseau aujourd'hui comme par le Reich hier, ce ne sont pas d'hypothétiques attentats à la pudeur, c'est qu'un homme libre et heureux nous aient montré d'autres hommes et d'autres femmes libres et heureux, affranchis de toute dépendance à l'époque dans laquelle ils vivent, des hommes et des femmes qui ont retrouvé le lieu et la formule. 

Otto Mueller, ou le seul commandement qui vaille: "Que ma joie demeure."

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