titre : Œuvres croisées : Georges-Henri Morin et Jacques Lacomblez
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Œuvres croisées : Georges-Henri Morin et Jacques Lacomblez
Ils viennent du surréalisme et le revendiquent. Cette expérience a été pour eux décisive et a orienté leur façon d'être, de penser, d'écrire et de peindre. Loin d'être réductrice, elle a éveillé en eux un espace de liberté où ils ont pu exprimer leur tempérament et leur sensibilité, sans concession, loin des gesticulations "médiatico-artistiques". Ils ne mangent pas de ce pain-là, pour reprendre une expression de Benjamin Péret et en même temps lui rendre hommage. L'un s'appelle Georges-Henri Morin, l'autre Jacques Lacomblez. Ils écrivent, ils peignent, ils peignent, ils écrivent, et il arrive que leurs œuvres se croisent.
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Georges-Henri Morin découvre le surréalisme en 1965. Il participera, avec Bernard Caburet et Robert Guyon, au "Bulletin de liaison surréaliste" et à "Surréalisme", deux revues animées par Vincent Bounoure, puis "Le Cerceau", auprès d'Alain Joubert, François-René Simon et Pierre Peuchmaurd. Il a publié une dizaine de livres ou plaquettes et en a illustré une dizaine d'autres, participant par ailleurs à de nombreuses expositions, le plus souvent collectives.
Son dernier livre, "Une brève, une longue", vient d'être édité par "Le Grand Tamanoir", avec des dessins de Jacques Lacomblez. il comprend deux parties. La première, "Incidents de frontières", se présente comme un ensemble de sonnets, deux quatrains et deux tercets mais en vers totalement libres. Le paysage, les paysages qu'il évoque appartiennent à une sorte de géographie intérieure, avec ses chausses-trappes, ses crocs-en-jambe, ses anicroches, voire ses quiproquos. Ces lieux n'ont rien de bucolique ; ils sont menaçants et vous oblige à vous tenir sans cesse sur le qui-vive. Georges-Henri Morin voyage dans cet espace qu'on peut qualifier d'onirique, avec ses aspects inquiétants, soit en dessinant ou peignant, soit en écrivant. Comment ne pas penser à certains de ses dessins récents quand il écrit :
"Les insectes se plient à ces métamorphoses
Ils y multiplient leurs exils dorés
Où le hasard les cueille au gré de leurs rondes de nuit"
La deuxième partie s'intitule "La fille de l'air". La tournure s'y fait plus aphoristique. L'auteur passe volontiers du "coq à l'âne", dans l'esprit des fatrasies, en jouant parfois sur des jeux de mots et des rapprochements de sonorités : "calcaire" et "calvaire", "claques" et "cales", "résines" et "racines", "devise" et "écrevisse"... Ce sont des phrases qui "cognent à la vitre", telle celle qu'André breton cite dans le "premier manifeste du surréalisme". Elles surgissent à l'improviste et s'imposent à la pensée par l'ouïe, du dedans ou du dehors, d'une façon lancinante. Peu importe qu'elle aient un sens ou non : elles sont là, elles existent et ne nous lâchent pas, reviennent constamment dans la tête comme un air obsédant dont on ne peut se débarrasser. En voici quelques exemples :
"Comme crèvent les bulles
Les chouettes s'égorgent
Narcisses jusque dans l'ardoise
Des coursiers lèvent ces reflets
Que l'on souhaite fiers et chanceux
À toutes nos momies
Hors la poisse
dites-vous
Mais les jambes coupées
N'entendez-vous rien ?"
"Les insectes se plient à ces métamorphoses
Ils y multiplient leurs exils dorés
Où le hasard les cueille au gré de leurs rondes de nuit"
La deuxième partie s'intitule "La fille de l'air". La tournure s'y fait plus aphoristique. L'auteur passe volontiers du "coq à l'âne", dans l'esprit des fatrasies, en jouant parfois sur des jeux de mots et des rapprochements de sonorités : "calcaire" et "calvaire", "claques" et "cales", "résines" et "racines", "devise" et "écrevisse"... Ce sont des phrases qui "cognent à la vitre", telle celle qu'André breton cite dans le "premier manifeste du surréalisme". Elles surgissent à l'improviste et s'imposent à la pensée par l'ouïe, du dedans ou du dehors, d'une façon lancinante. Peu importe qu'elle aient un sens ou non : elles sont là, elles existent et ne nous lâchent pas, reviennent constamment dans la tête comme un air obsédant dont on ne peut se débarrasser. En voici quelques exemples :
"Comme crèvent les bulles
Les chouettes s'égorgent
Narcisses jusque dans l'ardoise
Des coursiers lèvent ces reflets
Que l'on souhaite fiers et chanceux
À toutes nos momies
Hors la poisse
dites-vous
Mais les jambes coupées
N'entendez-vous rien ?"
Par ses dessins, volontairement en noir et blanc, Jacques Lacomblez tente de jeter des passerelles sur les gouffres insondables entre les phrases, entre les jets de mots. Il crée ainsi une cartographie complice, mais qui n'est pas pour autant sans danger : je le soupçonne en effet de nous tendre une main secourable pour mieux nous précipiter ensuite dans l'abîme. Parfois, un étrange dialogue s'établit, mots et dessins se parlent, se chuchotent je ne sais quel secret dont eux-mêmes n'ont pas la clef. C'est comme la rencontre entre deux rêves, puis chacun reprend son monologue, s'abandonne à sa propre errance.
...
Peintre, dessinateur, poète, Jacques Lacomblez est né à Bruxelles. Très tôt il se passionne pour le romantisme allemand, la poésie et la peinture symbolistes, le surréalisme, puis la spiritualité orientale, non pas dans ses aspects religieux mais métaphysiques, ontologiques. Il rencontrera Breton, participera aux activités du mouvement surréaliste et à "Phases" autour d'Édouard Jaguer. Il aura par ailleurs fréquenté en Belgique Marcel Lecomte, Achille Chavée, Marcel Havrenne, André Laurent, puis se liera d'une amitié indéfectible avec Claude Tarnaud dont les éditions "Les Hauts-Fonds" ont réédité assez récemment "L'Aventure de la Marie-Jeanne". De nombreuses expositions, en France, en Belgique ou à l'étranger, jalonnent son parcours où la poésie tient également une place importante, comme le montre le livre, "Le Chansonnier" qu'il a publié chez "Quadri Éditions", qui est par ailleurs une galerie d'art, avec des dessins ("Indécentes ellipses") de Georges-Henri Morin.
Il y a une sorte de hauteur mallarméenne dans la poésie de ce
dernier livre de Jacques Lacomblez. Elle tient à distance la réalité dans ce qu'elle peut avoir de trop prosaïque, de banale. Ce poète de "la plus haute tour", qui se soucie peu des tendances à la mode, cherche à opérer une transmutation du réel dans l'imaginaire, ou de l'imaginaire dans le réel, par la puissance du Verbe, sa pierre philosophale. Son creuset, c'est la langue, avec sa matière première qu'il faut purifier avec patience, son feu secret, son mystère et ses surprenantes métamorphoses. Voici un extrait de la première partie intitulée "Impromptus" :
Invisible
La fenêtre parle :
La peau du bois
saigne au blanc de l'œil
La cendre neige
sur les transes d'iris
La fée pleure
les seins nus sous l'écorce
C'est l'aube qui pleut
des roses du serpent
"Élégies" constituent la deuxième partie. Ce sont des poèmes d'amour adressés à "l'absente". Le ton est grave, sobre, d'une grande émotion pudique qui vous prend à la gorge. Toute paraphrase est inutile, les poèmes parlent d'eux-mêmes :
Ta voix pâlie
et le gris du vent
Tes yeux de lac
et l'écho des feux
Aux clos déserts
de nos amours vertes
Viennent voler
la clef des étoiles
Tu savais parler
à la rose d'orage
Qui seule s'ouvre
sous les voûtes sans âge
Mots tendres d'épine
au léger goût de sang"
Cette fois, ce sont les dessins de Georges-Henri Morin, avec leurs créatures aux mœurs étranges, cruauté et humour, qui accompagnent les poèmes.
Par Alain Roussel
-"Une brève, une longue", de Georges-Henri Morin avec des dessins de Jacques Lacomblez, a été publié par le Grand Tamanoir (10€).
-"Le Chansonnier", de Jacques Lacomblez avec des dessins de Georges-Henri Morin, a été publié par Quadri éditions (25€).
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