titre : Sérotonine, roman.
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Sérotonine, roman.
Et si on lisait Sérotonine comme un roman ? Bien sûr, Houellebecq ne nous y aide pas. Il se sait un phénomène de société, comme on dit. Il sait que la loupe grossissante des médias est fixée sur lui. Il en joue. C’est de bonne guerre. Pas seulement parce que ça fait vendre mais aussi parce qu’un écrivain est toujours en guerre. Contre son temps, ses lecteurs, ses éditeurs et surtout contre lui-même.
Houellebecq est de ceux qui savent que le succès, en littérature, repose toujours sur un malentendu. On vous aime ou on vous déteste pour de mauvaises raisons. Flaubert et Baudelaire mis en accusation par le même procureur Pinard, la même année, le sont pour immoralité. Apologie de l’adultère pour Flaubert, du lesbianisme pour Baudelaire. L’un comme l’autre, et leurs premiers vrais lecteurs, loin du bruissement médiatique de l’époque, avaient parfaitement compris que ce qu’on leur reprochait, au fond, c’était d’avoir inventé la langue dont ils avaient besoin et de tout faire apparaître sous un jour neuf, de nous forcer à changer d’angles de vue. L’adultère comme le saphisme étaient traités par bien d’autres auteurs à la même époque, mais sur le ton salace ou franchement pornographique. Ceux-là, ils ne gênaient pas trop. Ils étaient étiquetés. Le bourgeois du Second Empire pouvaient les lire en cachette, rassurés. Mais Flaubert et Baudelaire eux, exposaient tout cela dans une lumière impitoyable ; au sens premier ils élucidaient les contradictions, les hontes, les refoulements et le mystérieux continent noir de la jouissance féminine, impensée et impensable.
Même chose pour Céline qui écrit lui-même dans la préface à la réédition après-guerre du Voyage au bout de la Nuit que son crime, son vrai crime, ce n’est pas son antisémitisme pathologique -et, effectivement, il était loin d’être le seul de son temps à être antisémite. Non, son vrai crime, c’était son style, dès le Voyage, qui dévoilait le monde et son horreur de manière insupportable.
Houellebecq, lui aussi, n’échappe pas à cette règle du malentendu et il en joue. Dans Soumission, il a écrit le roman dont rêvaient les néoréacs qui ne sont pas doués pour saisir quoi que ce soit en littérature. La polémique a joué a fond : Houellebecq pleurait sur le sort de l’Occident, nous alertait sur les dangers de l’Islam. Sauf que. Sauf qu’il montrait pourtant assez clairement que si le néoréac déteste l’Islam, c’est pour une histoire de rivalité mimétique. L’Islam politique représente tout ce qu’il a perdu, le pauvre petit mâle blanc poujadiste : la violence patriarcale, la femme restée mineure à vie qui restera à la maison, la volonté de puissance, l’esprit de conquête, ma bite et mon sabre. Le personnage de Soumission,lui, s’en trouvait très bien de ce régime islamiste en France. Il le reposait, enfin, car ce qui caractérise le personnage houellebecquien, c’est la fatigue.
Pour Sérotonine, plus dur de trouver de quoi faire le buzz, mais on y arrive quand même un peu. Il y a quatre lignes sur Niort, dans le roman, pour dire que la ville est moche. N’importe quel autre auteur aurait lancé la même vanne gratuite sur Vierzon ou Epinal, et ce serait passé totalement inaperçu. Tant mieux, doit rigoler Houellebecq, comme ça, ce qui est vraiment dur dans Sérotoninepasse en contrebande. Parce que Sérotonine, dans un monde qui se donne comme parfait ou presque, est avant tout le roman d’un homme qui veut disparaître, s’éclipser, s’évaporer. Il se hait autant qu’il hait son temps, plus peut-être.
La vie est une malédiction ne cesse de nous répéter depuis le débuts ce disciple de Schopenhauer. La vie est écoeurante, proliférante, célébrée de manière honteuse. On aurait pu aimer, -il y a deux beaux portraits de femme dans Sérotonine- mais le personnage houellebecquien gâche tout, tout le temps, parce qu’il a peur. Sérotonine est un roman sur la peur, l’angoisse de vivre et d’éprouver : si tout doit se terminer par la mort et la souffrance, n’essayons même pas.
On veut faire de Houellebecq un chantre du déclin de l’Occident. Le costume, là encore, plait tellement aux néoréacs qui n’ont jamais lu Rester vivant[1], Le sens du combat ou son Lovecraft. Mais le costume est un peu grand pour Houellebecq, et mal taillé. Ce n’est pas tant l’Occident qu’il n’aime pas ou qu’il n’aime plus, c’est un certain type d’homme produit par l’Occident dont le narrateur de Sérotonine est parfaitement conscient de faire partie. C’est un homme qui se retire à lui-même la volonté de vivre parce qu’il est épuisé. Epuisé par l’économie, - les agriculteurs emblématiques du roman-, épuisé par l’extension du domaine de la lutte à l’amour, épuisé par la dépression, ce nom moderne du spleen, qu’on soigne par des molécules puisqu’on ne mérite que ça, être l’esclave reconnaissant des chimies qui nous mettent aux normes. C’est d’ailleurs le propre des sociétés dystopiques que d’avoir une politique de la toxicomanie légale : le soma dans Le Meilleur des Mondes, le Gin de la victoire dans 1984,le captorix houellebecquien dans la France marcheuse.
Florent-Claude Labrouste, le narrateur est d’abord le petit frère des solitaires radicaux confronté à l’absurdité violente de l’existence dans La Nausée, l’Etranger, Le Feu Follet de Drieu, L’Homme qui dort de Perec. Houellebecq y rajoute une dimension, c’est l’humour. Houellebecq est drôle, sinistrement drôle dans une époque qui a noyé le second degré dans l’eau de la moraline.
La moindre de ses provocs fait bondir ou s’extasier. Il le sait très bien, que les réseaux sociaux ont transformé à peu près tout le monde en chien de Pavlov. Au hasard : allez, énervons les écolos : « Je n’aurais peut-être pas fait grand-chose de bien dans ma vie, mais au moins j’aurais contribué à détruire la planète. » Ou encore, payons-nous la tête des cathos avec les deux dernières pages sur le Christ, deux pages plaquées d’une manière volontairement artificielle qui sont finalement un pied de nez à la Rédemption car il n’y a pas de Rédemption possible chez Houellebecq, rigoureusement aucune : il n’y a que des films pornos et la lecture des Ames mortes pour essayer de s’oublier, et quand on n’y arrive plus, le suicide. Faire l’éloge du Christ par un narrateur qui se tue. Il faut décidément être une grenouille de bénitier pour ne pas voir le doigt d’honneur derrière la posture. Sérotonine est en fait un roman qui se déteste et qui déteste son lecteur, un roman qui se tue, faute d’arriver à tuer comme le narrateur qui finalement ne tirera pas sur l’enfant qu’a eu son grand amour avec un autre, après leur rupture.
Le succès de Sérotonine ne peut donc s’expliquer que comme un symptôme: soit il y a un taux inquiétant de gens qui ne comprennent plus ce qu’ils lisent, soit ce pays est peuplé de masochistes et des nihilistes, soit de moutons hébéphrènes qui suivent l'air du temps..
Sachant, en plus, que rien n’empêche de cumuler.
Jérôme Leroy
[1] On va se la jouer mais comme l’attestera le Cahier de l’Herne Houllebecq, on a fait partie des deux premiers à avoir parlé de Houllebecq dans les journaux, (en l’occurrence, en 1991, dans le Quotidien de Paris)
ainsi, l'article Sérotonine, roman.
qui est tous les articles Sérotonine, roman. Cette fois-ci, nous l'espérons peut vous offrir des avantages à tous. Bon, vous voyez dans un autre article après
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